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Expo : Le Paris Noir

Paris Noir 1950-2000

L’exposition Paris Noir retrace 50 ans d’expression artistique à Paris, lieu privilégié de formation, de rencontres et de débats. 150 artistes africains, africains-américains et caribéens jusqu’alors invisibilisés, déploient leur art au Centre Pompidou jusqu’au 30 juin 2025.

Par Estelle GUEÏ

 

 

Paris, terre d’accueil artistique 

« A Paris je me suis senti libre en tant qu’artiste pour la première fois, et pas nécessairement considéré comme un artiste noir, mais comme quelqu’un avec ses propres ambitions »

Cette confidence émise par le photographe-compositeur-poète et réalisateur Gordon PARKS (1912-2006), n’a jamais autant résonné à notre oreille contemporaine, comme une réflexion d’actualité, pour qui porte une carnation un tant soit peu colorée.

Bien qu’un siècle nous sépare du ressenti de Gordon PARKS, il m’est personnellement arrivé en province de subir la bêtise crasse du racisme ordinaire. En effet, en France, celui-ci sévit beaucoup plus en province, qu’à Paris.

Le racisme est une bêtise de l’esprit humain. Une atrophie du cerveau pour les malheureux qui sont pourvus d’un biais cognitif nourri par le manque d’ouverture d’esprit, de voyages et de culture.

 

Encore aujourd’hui lutter contre le racisme ordinaire est toujours d’actualité

 

 

Le racisme ordinaire du quotidien

Jugez plutôt, l’anecdote est éloquente : revenant d’un road-trip hexagonal de 3 mois, dans le TGV me ramenant à Paris, le jeune homme assis à côté de moi (le sosie d’Antonio Banderas avec 20 ans de moins) me sourit et engage la conversation. Bonne citoyenne, bienveillante et adepte du vivre-ensemble, j’accepte de lier la conversation avec lui. Au bout de 5 minutes, après les platitudes habituelles lorsqu’un pseudo mâle-alpha essaye de courtiser une demoiselle, celui m’observe du coin de l’œil et me demande soudain :

– Tu viens d’où ?

–  De Nantes, mais j’habite à Paris maintenant.

–  Nan, mais je veux dire : tu viens d’où ? Tu es née où ?

–  Eh bien, à Nantes. Pourquoi ? 

Et là, en l’espace de 5 minutes, je me retrouve replongée dans les 90’s quand, enfant, mes camarades en culottes courtes, s’interrogeaient toujours sur ma couleur de peau différente de la leur. Je revis la scène humiliante, revenant du car scolaire, où les larmes aux yeux, après un énième lynchage avec les élèves du primaire, ma mère tente de m’apaiser, en m’engageant à répondre à mes tortionnaires de la façon suivante : « Tu es un enfant de l’amour. Ta mère est Blanche et ton père est Noir. Donc le mélange des deux, ça fait comme du lait mélangé à du chocolat. Tu es café au lait ! Tu leur répondras ça la prochaine fois qu’ils t’interrogeront sur ta couleur de peau !

 

Chaque jour, de nombreux enfants sont confrontés au racisme, qui est aussi présent dans la cour d’école ou au terrain de jeu.

 

Ma mère aussi en tant que femme Blanche, mariée à un homme Noir, en province, a souffert du racisme ordinaire. Combien de mères de famille caucasiennes ne l’ont-elles pas félicitée d’avoir « adopté 4 petits enfants noirs » ! Avec sa peau diaphane, les cheveux roux et les yeux verts, notre mère dépareillait parmi nous lorsqu’elle nous déposait dans la bonne école catholique de province, où nombre de mères de familles affichaient un QI d’huître derrière leur apparence bourgeoise.

Sauf qu’aujourd’hui nous sommes en 2025. L’époque a changé et je vis maintenant à Paris.

Donc loin de me laisser démonter par ce provincial, je rétorque :

–       Tu imagines quoi ? Que je suis née dans un bananier ? Qu’un singe m’a déposé au pied d’un cocotier ? Ou qu’une cigogne m’a déposée dans une cheminée bretonne ? 

Confus, mais ne se rendant pas vraiment compte de sa connerie, il esquisse alors le geste de trop : mimer un débarbouillage imaginaire, en passant sa main sur son visage. Je le regarde perplexe en me disant : « Décidément, le racisme ordinaire atteint les abrutis à toutes les époques, et à tous âges ! »

Le Banderas de pacotille allie en plus la parole, aux gestes. Il insiste à nouveau :

–       Mais d’où venez-vous Mademoiselle ?  De Nantes ? Mais vous êtes…votre peau…elle est…..un peu….mate ? 

–       Ah !! vous voulez parler de mon métissage ??

 Et allant dans le sens de sa bêtise crasse, je retrousse les manches de mon pull pour me « débarbouiller» l’avant-bras comme il l’a fait avec son visage, en donnant l’estocade finale :

–       Ma mère est Blanche, Bretonne. Et mon père est Noir. De Côte d’Ivoire. Je suis née à Nantes. Donc en France. Et vous ? Vous êtes aussi mate de peau. Ça ne vous dérange pas que je vous interroge sur vos origines plutôt que sur vos passions, idées, projets ou tout autre small talk pour passer le temps ?

Réalisant in fine sa stupidité, il tente maladroitement de s’excuser, piteusement : « Ah ! Ça fait un beau mélange ! »

N’en supportant pas davantage, je replonge dans la lecture de ma revue, jusqu’à ce qu’il m’invite à prendre un café dans la voiture-bar pour s’excuser. Loin d’être rancunière j’accepte son invitation, avant de lui fausser compagnie.

Cette anecdote 100 % réelle, décrit parfaitement le malaise schizophrénique que les afro-descendant(e)s des anciens pays colonisateurs et esclavagistes peuvent ressentir quand ils sont confrontés au racisme ordinaire. Et quoi de mieux pour sauver les traumas que l’art ?

L’ouverture d’esprit s’acquiert grâce aux voyages, à la lecture, à la peinture, à la musique, aux arts en général, aux conversations stimulantes et rencontres humainement enrichissantes.

 

Le racisme est une attitude qui est déclenchée par des modèles négatifs véhiculés par les parents aux enfants selon les experts de l’association Diversum.

Ma couleur de peau et mes origines ne me définissent pas.  Ma personnalité ne se limite pas à une étiquette racisée ou à des préjugés !

 

Les femmes n’ont pas à être racisées, et ni à être réduites à une couleur de peau, à une carnation…

 

 

 

Paris Dakar Lagos

C’est pour lutter contre ces clichés véhiculés par le racisme ordinaire du quotidien, et pour réhabiliter les artistes issus des diasporas panafricaines et caribéennes, que l’exposition PARIS NOIR mérite d’être saluée.

En effet, l’expo nous interroge sur la condition de l’artiste Noir et célèbre ces « espaces noirs » comme lieux de liberté, de refuge et de distance culturelle et politique.  On y découvre la vision artistique d’un Paris d’après-guerre, en pleine luttes anticoloniales et reconstruction culturelle.

 

L’expo Paris Noir jusqu’au 30 Juin au Centre Pompidou

 

Sur une période de 1950 à 2000, l’expo du Centre Pompidou brosse une vaste cartographie d’un Paris noir marquée par l’invisibilisation des artistes et la dispersion de leurs œuvres. 

Entre stigmates raciaux, luttes pour les droits civiques et luttes pour l’égalité dans une France à la fin du 20ème siècle, PARIS NOIR nous invite à une prise de conscience patrimoniale et scientifique de l’apport des artistes Noirs en France et à l’international.

 

 

Grâce aux regards croisés de plus de 150 artistes pluridisciplinaires panafricains et transatlantiques, on découvre à la fois un pan méconnu de l’histoire de France, ses maîtres du classique du 20ème siècle et les différents courants artistiques nés de ce métissage culturel. 

Car si la formation artistique à la Parisienne contribue à forger la sensibilité des artistes Noirs, l’influence et la fréquentation des maîtres classiques amorcent de nouveaux courants de pensées menés par des poètes et intellectuels de la Négritude. On pense notamment aux figures intellectuelles et militantes qu’ont été Angela DAVIS, Martin Luther KING, Aimé CÉSAIRE, Édouard GLISSANT, Léopold SENGHOR, Malcom X, Leroi JONES alias Amiri Baraka, ou encore à Patrice Lumumba.

Marchant dans les pas de Claude MONET ou encore de PICASSO, les artiste Noirs déploient des œuvres marquées par le mouvement impressionniste. Les artistes africains, africains-américains et caribéens, travaillent la lumière comme force naturelle et aspiration spirituelle. A l’instar du couple d’artistes, Beauford DELANEY et James BALDWIN, qui en 1945 affirmaient vouloir exprimer à travers leurs œuvres une «quête de lumière et de liberté ». 

 

Dans les années 80-90 des structures artistiques collectives s’ouvrent aux cultures urbaines et à la musique, notamment africaine.

 

 

1950-2000, 50 ans de déconstruction, de quête d’identité culturelle et d’affirmations de soi

Durant 50 ans les communautés noires n’eurent de cesse de tenter de s’émanciper artistiquement et politiquement.

 

 

La représentation des figures noires étaient jusqu’alors invisibles dans l’histoire de l’art. Paris Noir explore les cultures issues de l’esclavage et de la colonisation.

 

Ainsi le surréalisme afro-atlantique devient un outil politique et poétique, incarné par le poète Aimé CÉSAIRE. Ce surréalisme afro-atlantique propose avant l’heure une approche écologique et décolonialiste de la société française.  Dans ce patchwork culturel et artistique, un véritable travail de déconstruction se devine.

Une nouvelle identité panafricaine se dessine entre affirmations de soi, la nostalgie de l’Afrique, les collages improvisés, la culture jazz, les fractures coloniales et la conservation des rites et mémoires de l’esclavage.

 

 

La place des femmes artistes n’est pas en reste non plus, puisque dans les années 80’s une nouvelle génération d’artistes femmes africaines-américaines, bénéficieront de bourses pour parfaire leur éducation à Paris. Les représentations du corps noir s’expriment via la peinture, la photographie et la mode. Tandis que des artistes réinventent l’autoportrait à travers des icônes comme Joséphine BAKER, la chanteuse Grace JONES incarne l’effervescence des nuits parisiennes.

En pleine luttes contre l’apartheid sévissant en Afrique du Sud, les artistes militantes réaffirment les représentations de soi au moment où la question liée aux races et aux origines fait rage dans différentes régions du globe….

On ressort de cette expo avec des couleurs et des formes plein la tête ! Avec le sentiment heureux de s’être ouvert(e) au monde grâce à l’art et au multiculturalisme. En quittant l’expo ces 4 vers me sont venus en tête :

 

« Un amour de Couleurs

Une célébration de Lumière

Un vent de Liberté

Un torrent de Sensualité »

 

Paris Noir, une expo couleurs nature !

 

 

Paris Noir

Exposition ouverte au public jusqu’au 30 juin 2025

Tous les jours de 11h à 21h, sauf le mardi

Nocturne les jeudis jusqu’à 23h

Au Centre Pompidou 

 

 

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