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Théâtre : Pitchipoi

Entre horreur et stupéfaction, Pitchipoi, nous entraîne dans la lente descente aux enfers d’une jeune héroïne dans les camps de la mort. L’avant-première jouée par l’actrice Fabienne BABE, s’est tenue à l’Essaion Théâtre, avant d’être jouée au Festival d’Avignon cet été.

Par Estelle GUEÏ

 

Voyage en terres inconnues

La comédienne Fabienne BABE

Connue pour ses seconds rôles au cinéma (Hurlevent, Golem, les Démons de Jésus, Le Cœur des Hommes, Un soupçon d’amour…), Fabienne BABE, interprète avec émotion l’œuvre de Jean-Claude Moscovici, Voyage à Pitchipoi. L’héroïne est une enfant de 12 ans, déportée avec sa famille pendant la seconde guerre mondiale dans les camps de concentration polonais d’Auschwitz.

Après avoir perdu son père, médecin parisien, condamnée par les SS au faux prétexte qu’il pratiquait des avortements illégaux, l’enfant et sa mère sont emmenés vers une destination inconnue en wagon.

Les différentes péripéties au cœur de l’enfer hitlérien se vit en musique. C’est-à-dire que le spectateur est emporté vers un voyage spatio-temporel sans nom, au rythme des styles musicaux. Chaque morceau exprime la surprise, l’inquiétude, l’horreur (métal des Earth Scar Decapited), le désespoir (Torn de Nathan LANIER), l’espoir (Ave Maria de Marie-Josée LORD) et le difficile retour à la vie (Miguel YISRAEL suite in G Minor) … Cette narration multi-supports se vit par tous les sens, au gré des images projetées sur le mur de pierre de l’Essaïon Théâtre.

Peu de rescapés de cette innommable période vivent encore. Aussi, pour que l’histoire ne se répète pas et que la mémoire des victimes de La Shoah subsiste, il est vital que les auteurs, dramaturges, scientifiques, journalistes, historiens et descendants continuent à sensibiliser tous les publics. 

La Shoah (hébreu : שואה, catastrophe) c’est près de 6 millions de morts en 7 ans. L’holocauste n’est pas si vieux que cela : 83 ans. Soit juste 8 décennies…Pas assez lointain pour éviter d’y penser avec effroi.

 

Le Kaddish

Pitchiboi est un Kaddish (prière issue de la Torah aux morts). Sous le regard pur d’une enfant de 12 ans, déportée avec sa mère, qui se voile la face, en épousant le rôle d’une héroïne qu’elle n’est pas, la petite fille tente de survivre chaque jour dans les camps de l’horreur en se répétant : « Je ne veux pas mourir maintenant ! »

Sa pauvre mère lui propose même de se jeter sur les barbelés électrifiés pour mettre fin à leurs jours…C’est une force de la nature qui s’exprime sur les planches, à travers la voix de Fabienne BABE.

 

 

Après avoir assisté à cette pièce, nous comprenons mieux l’allusion aux boîtes de sardines chantées par Patrick SEBASTIEN, puis popularisée par Cyril HANOUNA. La métaphore mérite un macabre éclairage, sur cette période inhumaine de l’histoire mondiale. Imaginez des wagons remplis d’hommes, de femmes, de personnes âgées et d’enfants. Ils ont été comme raflés. Ils ne savent pas où le train les mène. A bord, l’air est irrespirable. L’odeur d’urine et d’excrément est insoutenable.  « Les vieilles femmes gémissent, perdent le contrôle et se mettent à uriner sur les genoux des autres ». Les forts marchent sur les faibles.  Les corps ne résistent pas à la chaleur, alors que toute cette population juive déportée est terrifiée.

Arrivés à destination, les porteurs de l’étoile jaune découvrent des baraquements où les enfants et adultes partagent la même chambre en surnombre. Certains soirs, des femmes disparaissent silencieusement. Les cheminées tournent à plein régime H24. Les SS aboient comme des hyènes. Les états d’âmes des prisonniers sont mimés par une Fabienne BABE habitée, qui exprime de tout son être un simulacre de cri silencieux à faire froid dans le dos…

 

Le Génocide de La Shoah

Tout rescapé de ce génocide aurait pu écrire un roman. A la libération, les américains se bouchaient les oreilles pour ne plus entendre ces témoignages glaçants. D’autres révisionnistes ou personnes incrédules ont remis en cause l’existence des chambres à gaz, minimisant le rôle d’Hitler. Ce qui est particulièrement immonde au vu des preuves historiques et témoignages effrayants. L’homme peut être un monstre, une machine de guerre, prête à écraser par le biais des corps militaires et des gouvernements tout groupe de personnes susceptibles de les déranger idéologiquement, économiquement, ethniquement, ou politiquement.  Les nombreux génocides modernes nous le rappellent. 3 en particulier : le Massacre des Tutsis au Rwanda (du 7 avril au 17 juillet 1994), le Génocide des Arméniens (d’avril 1915 à juillet 1916, voire 1923) et La Shoah (39-45)

Rappelons qu’un génocide est un crime consistant en l’élimination concrète intentionnelle, totale ou partielle, d’un groupe national, ethnique ou encore religieux.

Ce qui signifie que les membres du groupe sont tués, brisés mentalement et/ou physiquement, rendus incapables de procréer, réduits à une vie difficile ou impossible. Les génocides sont perpétrés par divers moyens, le plus répandu étant le meurtre collectif…

Ces exterminations ordonnées par des États sont injustifiables. J’ai un souvenir ému pour cet homme issu de la génération des enfants post-seconde guerre mondiale, qui a appris que son père, alors adolescent, avait réussi à s’échapper d’un camp de concentration en se réfugiant dans une tombe d’un cimetière catholique, le soir de Noël, pour échapper aux allemands…Les témoignages de cet acabit sont légion.

 

des scènes insoutenables

Un stress-post traumatique héréditaire

Après la seconde guerre mondiale, beaucoup de femmes et d’hommes de la communauté juive se sont convertis au catholicisme, par crainte d’une troisième guerre mondiale ou extermination de masse. Certains hommes ont volontairement refusé que leurs garçons soient circoncis pour qu’on ne puisse pas déterminer leur appartenance religieuse ou ethnique.

Les enfants d’après-guerre ont vécu un véritable traumatisme même s’ils n’ont pas connu l’holocauste. Au sein des familles rescapées, les non-dits, le déni, la pudeur sur l’horreur des extractions commises étaient de mise. D’ailleurs, scientifiquement il a été prouvé que le drame vécu de La Shoah est un traumatisme héréditaire transmis chez les descendants Ashkénazes par un marqueur biologique lié à l’ADN.

Cette découverte scientifique a été mise en lumière en 1998, grâce à Rachel YEHUDA et à son équipe de l’école de médecine du Mont Sinaï, à New York (extrait American Journal of Psychiatry du 16 mai 1998).

Ce phénomène de transmission (marqueurs épigénétiques) serait lié au stress post-traumatique qui modifierait sur des générations l’ADN des descendants des victimes de l’holocauste.

Ils seraient ainsi prédisposés à ressentir une sorte de dépression biologique héréditaire. 

En revanche, cette empreinte épigénétique n’est pas irréversible car selon une étude menée sur des vétérans souffrant d’un SSPT (stress post-traumatique) publiée dans la revue Frontiers in Psychiatry, Rachel YEHUDA démontre qu’à l’aide d’une psychothérapie ces biomarqueurs disparaissent en même temps que les symptômes !

Notre génération ne peut rester insensible et doit rester vigilante afin que l’Histoire ne se répète pas.

La comédienne Fabienne BABE sait nous prendre dans les filets d’une délicate poésie, où affleure la vérité des âmes !

 

Pitchipoi par Fabienne BABE au Festival d’Avignon cet été !

 

 

 

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