
Livre : Zola à Bicyclette
Quand le vélo fait sa révolution
« Tic-tac. Écriture. Lecture. Bicyclette. Son balancier. Sa fonction naturelle, sa béquille, en équilibre, entre ses tourments obsessionnels, entre deux roues, la métaphore lui colle à la peau, entre deux chaises, entre deux femmes. Mais de quoi pouvait-elle le soulager d’autre, sa bicyclette ? Il a besoin d’elle pour entendre sa douce musique intime. » Plongez dans l’univers intime d’Émile Zola !
Par Estelle GUEÏ
L’amour des mots & du vélo
Oui, ce livre est une déclaration d’amour à sa « minouche », « camarade », « éclair de feu », « petit poney d’acier », « chère consolatrice ». Mais qui est-elle ? La bicyclette pardi ! Et pas des moindres…Celle d’Émile Zola ! Auteur de génie, créateur fécond du cycle des Rougon-Macquart, écrivain exigeant, jamais en paix avec ses contemporains, fervent défenseur de l’affaire Dreyfus.
Oui, Zola pédalait. Et il aimait ça ! Entre deux romans, deux femmes, le cul entre chaise et selle, l’auteur de Nana, Germinal, Au Bonheur des Dames ou encore La Curée n’a jamais été aussi bien disséqué, que sous la plume de Vespini !
Aujourd’hui, je vous embarque dans une balade. À travers vent. À travers temps, dans cet espace libre, écrit par un amoureux du vélo, de la littérature, et de l’histoire. Le journaliste Jean-Paul VESPINI nous partage ainsi sa passion dans l’essai « Zola à bicyclette- Libre et dans le vent »
Une passion commune que l’auteur partage avec cet acharné du travail, qui vibrait pour la séduisante « petite reine de fer ». Plus particulièrement pour le modèle britannique Rudge, au cadre léger, à la forme révolutionnaire pour l’époque, ne pesant que 10 kg, munie de coussinets aux roues et de freins.

L’écrivain Émile Zola était un fervent adepte de la bicyclette, après l’écriture et la lecture
Avant de se l’offrir, Émile Zola, s’est documenté comme s’il préparait un nouveau roman. Influencé par le recordman Charles TERRONT, un français qui s’est distingué en parcourant 3005 km, de Saint-Pétersbourg à Paris. Soit un périple de 14 jours sur des chemins défoncés, à travers la Russie, la Pologne, l’Allemagne et la France (1870-1890).
C’est donc à partir de cette passion pour la bicyclette que celui qui « ne pouvait se reposer de travailler qu’en travaillant » quittait la Place de Clichy pour pédaler après une journée passée à écrire et à lire, à sa table de travail.
Les faces cachées d’Émile Zola
Avec délectation, Jean-Paul VESPINI, journaliste récompensé par de prestigieux prix pour ses essais (Prix Top Vélo du livre de cyclisme 2021 et le Prix Pierre Chany 2005), nous fait revivre les moments les plus secrets, voire confidentiels, de la vie d’Émile Zola.
Bien que le sujet fasse lever le sourcil, les pages rédigées d’une écriture enlevée, agrémentées de photos, croquis, extraits d’articles et de correspondances intimes et autres reliques, happent le lecteur (même les moins sportifs ou néophytes de la bicyclette), dans l’univers du défenseur de l’Affaire Dreyfus.
On comprend vite que le thème du vélo n’est qu’un prétexte, pour analyser l’époque, le changement de société sous l’impulsion de l’ère industrielle, les mœurs de la société bourgeoise, aristo ou ouvrière, si cher à Zola.
L’auteur, VESPINI nous entraîne donc dans une course folle, rocambolesque, peuplée de rebondissements, de secrets amoureux (Émile était fou d’amour pour 2 femmes : sa femme officielle Alexandrine et sa maîtresse, Jeanne, une lingère de 27 ans sa cadette avec qui il eut 2 enfants naturels).

Émile était fou d’amour pour 2 femmes : sa femme officielle Alexandrine et sa maîtresse, Jeanne
Zola à Bicyclette, c’est aussi une galerie de personnages flamboyants qui ont fait le siècle et l’Histoire. Le charmant docteur, Samuel POZZI, bel homme célèbre pour sa patientèle mondaine et sa collection d’illustres maîtresses (la veuve du compositeur George BIZET, la fille de Théophile GAUTIER, l’amante de Victor HUGO ou encore l’actrice Sarah BERNHARDT…)
On y croise aussi des Académiciens, le Tout-Paris mondain du Second Empire (1852-1870) et l’éditeur Ernest FLAMMARION. Au début réfractaire à la pratique de « la petite reine d’acier », lui reprochant de détourner les lecteurs de la lecture. Il écrira dans l’une de ses correspondances : « Aux bains de mer, on emporte même plus de livres, on prend sa bicyclette et on pédale ».
A travers cet ouvrage passionnant, le lecteur devine une France en mouvement. En plein essor de la Révolution industrielle, une musique résonne dans la tête du lecteur, immergé dans cet univers zolien en branle. Un univers aux journées circulaires, calquées sur une immuable triangulaire : « Écriture, lecture, bicyclette ».
La bicyclette accompagne la libération de la femme
Enfin, les femmes ne sont pas en reste et accompagnent, ou plutôt illustrent à merveille ce changement de paradigme encore frémissant, fragile, qui amorcera quelques décennies plus tard l’émancipation de la femme.
Figurez-vous que la bicyclette contribua, tout comme pour l’ouvrier, à libérer la femme de sa maison, des corvées domestiques, du patriarcat.
En effet, subrepticement les femmes bicyclistes commencèrent à troquer leurs lourds jupons et corsets étriqués, pour des jupes-culottes, puis des pantalons, pour pédaler plus aisément, les cheveux aux vents, les idées libres et libres de se déplacer, sans entraves, pour accomplir leurs destins, parfois hors du commun !

La bicyclette a contribué a délivrer les femmes du joug du patriarcat
Ainsi, on y croise des figures féminines incontournables du siècle, aux mœurs avant-gardistes et indépendantes financièrement, telles la comédienne Sarah BERNHARDT, première femme Directrice d’un théâtre. Autre personnage épique : le Docteur Inès GACHES-SARRAUTE, bicycliste à l’origine d’une nouvelle forme de corset et 5ème femme à devenir médecin à Paris. On découvre également toujours sous le prisme de la passion de Zola pour le vélo, la 1ère femme Directrice de journal, Séverine, alias Caroline RÉMY, co-fondatrice du Prix Vie Heureuse, futur Prix Fémina.
Une pionnière du journalisme féminin et une figure du féminisme contemporain !
La première femme Directrice de journal, Séverine, alias Caroline Rémy, co-fondatrice du Prix Vie Heureuse, futur Prix Fémina.
Du petit peuple, à la haute bourgeoisie, les demi-mondaines sont aussi croquées sous la plume de l’auteur-journaliste. Les cocottes de Paris brillent de leur éclat sur leurs bicyclettes, osant porter la culotte, telles Blanche d’Antigny, qui inspira Zola pour le personnage de Nana.
On y apprend ainsi l’influence des courtisanes, dont certaines murmuraient aux oreilles des plus grands, des idées reprises et mises en œuvre comme Valtesse de la Bigne, maîtresse supposée de l’Empereur Napoléon III, qui la fit comtesse. L’auteur de la Bête Humaine, préféra cependant, brosser de la courtisanerie française, l’aspect seulement matériel et vain des demi-mondaines entourées de luxe, plutôt que de leur accorder un rôle plus politique ou artistique. Par ce choix littéraire, Émile Zola voulait « préserver les jeunes filles de faibles extractions de la prostitution ».
Ce petit livre frais, facile à lire, croustillant et rédigé d’une écriture vivante, loin de sentir la naphtaline, a le pouvoir de nous remettre au sport, de prendre conscience de l’importance de la santé mentale, de comprendre l’évolution des mœurs, et la lente émancipation féminine. D’ailleurs saviez-vous qu’en 1800, une loi stipulait : « toute femme désirant s’habiller en homme doit se présenter à la préfecture de Police pour en obtenir l’autorisation » (loi du 26 brumaire, an IX). Ce n’est que depuis le 31 janvier 2013 que la loi autorise les femmes françaises à porter un pantalon…

En 1800, une loi stipulait : « Toute femme désirant s’habiller en homme doit se présenter à la préfecture de Police pour en obtenir l’autorisation »
Une hérésie pour toutes les femmes, autonomes, indépendantes financièrement, libres et modernes d’aujourd’hui ! Grâce à cet auteur fondu de cyclisme et d’histoire, on « se la joue grand siècle » à nouveau, savourant nos balades à vélo encore plus intensément !
Bref, Émile à bicyclette est une ode à la petite reine. Les pages défilent sous nos yeux, comme lorsqu’on pédale à travers bois, ou sur le bitume, le nez au vent !
Zola à bicyclette De Jean-Paul Vespini 286 Pages 19,90€ Édition Arthaud

Livre « Zola à bicyclette » de Jean-Paul Vespini aux éditions Arthaud