Roman : Magnifique
Une histoire d’amour bouleversante sous fond de génocide rwandais
Peut-on construire une histoire d’amour après avoir survécu à l’abomination ? Survivante du génocide rwandais, Magnifique Umuciowari, décide d’écrire pour son époux le récit bouleversant de ses effroyables souvenirs. Des collines du Rwanda, aux rives du lac Léman, ce roman d’une délicatesse exceptionnelle nous transporte….
Par Estelle GUEÏ
Quand écrire est un besoin vital
L’auteur Jean-Félix de La Ville Baugé
Comme écrit dans un sentiment d’urgence, à travers le regard d’une ado qui a vécu le génocide du Rwanda (la guerre des Hitsu et des Titu), le 5ème roman de Jean-Félix de La Villa Baugé magnifie l’horreur.
Les scènes vécues par la jeune héroïne, Magnifique, paraissent irréelles, tellement la cruauté et la bêtise humaine semblent avoir « bestialisé » ces hommes et ces femmes, qui un beau matin se sont mis à couper les têtes de leurs voisins, comme s’ils coupaient des feuilles de bananiers ! Pourtant, l’action ne se situe pas dans les époques impitoyables des guerres de croisades, mais en 1994, au Rwanda !
Le diable déploya ses ailes sur le Rwanda, un beau matin du 5 avril 1994, lorsqu’un animateur de Radio Mille annonça à l’antenne qu’il allait y avoir « une petite surprise !» Bien qu’une guerre intestine ourdissait déjà dans le pays depuis quelques années, car le Rwanda était divisé entre le FPR (Front Patriotique Rwandais tutsi) et l’armée rwandaise aux mains des Hutus, on n’imagine difficilement que pendant 100 jours (3 mois ½) des têtes d’enfants, de femmes et de vieillards furent tranchées sans ménagement, dans des églises. Lorsque les victimes n’étaient pas violées…
Photo de Gilles Peresse pour Magnum @
Comment des hommes et des femmes ont-ils pu participer à un tel crime de masse devant une communauté internationale contemporaine passive ? A l’instar de la Shoah, le génocide rwandais (800000 victimes en 100 jours) montre le versant destructeur de l’homme. Une guerre inepte entre ethnies et personnes assoiffées de pouvoir, prêtes à sacrifier sur l’autel des vanités des âmes innocentes.
C’est dans ce contexte que nous suivons le destin de la jeune Magnifique, née dans un petit village de Kigali, élevée dans la misère la plus totale par un père paysan et une mère folle tricotant à longueur de journée des napperons de laine imaginaires…
Alors que Magnifique passe son temps à se limer les ongles et à rêver de remporter l’élection de Miss Massongo (c’est un peu cliché et sexiste), son destin de lycéenne bascule subitement. Réfugiée avec ses parents dans l’église pour se protéger des machettes, Magnifique vivra l’indicible. Entre ses 2 poignées de farine subtilisées dans leur ancienne maison pour se tenir le ventre quotidiennement, et sa cachette sous terre, où elle respire par un roseau, on se demande comment Magnifique pourra se sortir de ce cauchemar…Rescapée dans sa robe en haillon, elle rencontrera à l’hôpital Jérôme Auskl, chef de la délégation du Comité International de la Croix-Rouge qui deviendra plus tard son époux.
Ce roman poignant semble être écrit dans un sentiment d’urgence, la plume simple et légère malgré la cruauté des scènes, nous happe. Je me suis ainsi surprise en ouvrant par hasard ce livre adressé par la maison d’édition, à le dévorer d’une traite en me disant : « C’est pas possible ! »
Entre horreur et humour, la narratrice témoigne de son statut de « négresse », de « rescapée » et de son désir de vivre. Ce roman nous fait voyager à travers le temps et les pays, sous fonds de conflits politiques et de guerres. Thèmes si chers à l’auteur, puisque Jean-Félix de LA VILLE BAUGÉ a dirigé Solidarités Internationalau Darfour et Médecins sans frontières en Tchétchénie, avant de prendre la tête d’un journal à Moscou. Cette année, Jean-Félix de LA VILLE BAUGÉ a été missionné pour MSF en Irak.
L’auteur nous livre un roman à la musique entêtante, où les mots se transforment en notes, comme écrites sur le coin d’une table, à la va vite. Car le temps, Magnifique, en manque…Avant de se décider à écrire, son médecin lui a diagnostiqué une « tumeur sur le nerf auditif ». Après avoir survécu à l’horreur de la guerre, survivra-t-elle à la maladie et à cette effroyable plongée dans ses souvenirs dont certains n’ont jamais été confiés à son mari ? Sauf par écrit…si jamais il les lit.
MAGNIFIQUE
De Jean-Félix de La VILLE BAUGÉ
Parution : 7 septembre 2023
240 pages
19 euros
Éditions Télémaque
