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l’Art d’être malheureux

Rédigé avant l’apparition du Covid-19 par le psychiatre belge Dirk De WACHTER, le best-seller humaniste « L’art d’être malheureux » a conquis plus de 500.000 lecteurs. Dans ce traité de sagesse l’auteur joue les trouble-fêtes en analysant le bonheur compulsif. Paradoxalement, et si les épreuves de la vie, en créant du sens et du lien, pouvaient aussi être sources de bonheur ?

 Par Estelle GUEÏ

 

 

L’art d’être malheureux

« Le bonheur et le malheur dansent ensemble comme un couple d’opposés » Comment vibrer et donner un sens à notre vie lorsque nos sociétés modernes nous entrainent dans une surenchère de bonheur ? Un diktat qui se ressent jusque dans les réseaux sociaux, où stories et publications nous laissent parfois éteint.es, vidé.es et désespéré.es.

Si les nouvelles technologies améliorent nos conditions matérielles, elles appauvrissent les relations humaines et ne donnent pas de sens aux objets. L’auteur, psychiatre, psychothérapeute et professeur de psychiatrie à l’hôpital de Kortenberg, est un influent intellectuel, en Flandre et aux Pays-Bas, qui milite pour l’art d’être malheureux.

 

Concept aux antipodes de la société du bonheur imposée depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, au Moyen Age, l’idée du bonheur était une utopie. Idem au XIX éme siècle, où la brutalité industrielle broyait les prolétaires, les femmes et les enfants, sacrifiés sur l’autel des usines. Ensuite, le XX siècle laissa place à la honte, avec les 2 guerres mondiales et les 3 génocides qui entachèrent un monde aspirant à plus de justice sociale. Aujourd’hui, on constate un étonnant phénomène : on croit au bonheur, on l’espère, on y travaille et on le revendique corps et âme ! Mais au final, on ne sait toujours pas ce qu’est le bonheur !

 

Il est où le bonheur ?

Selon l’éminent psychiatre, qui pratique la thérapie systémique et la thérapie familiale, consistant à nouer des liens et des connexions avec l’entourage du patient, être heureux, prend encore plus de sens lorsque l’individu a surmonté les épreuves de la vie. Pour preuves, les films et les romans regorgent d’histoires d’héroïnes ou de héros qui ont triomphé des violences conjugales, des maltraitances familiales ou vaincus des maladies. Ainsi, surpasser nos difficultés, nous réaliser dans la douleur, nous procure un immense sentiment de bonheur.

Se sentir malheureux fait partie de la vie. C’est un sentiment vital et essentiel. Il faut l’affronter, sans chercher à l’éviter. Le chagrin est « psychiatrisé » comme en témoigne l’auteur : « Partout dans l’organisation des soins de santé mentale, les listes d’attente sont interminables. Comme si chacun ne voulait épancher son cœur qu’auprès d’un thérapeute. »

 

Graffiti au pochoir de la street-artiste Mistic

 

Notre société obsessionnelle du bonheur et de la bonne santé tend vers un perfectionnisme au détriment de notre épanouissement. Dirk De WACHTER dresse un portrait de l’Homo sapiens prisonnier d’une image prônant jeunesse éternelle, mensurations idéales, silhouette athlétique et condition physique digne d’un marathon.

A cela s’ajoute l’illusion de l’Homo hyperconnecté, coupé de son environnement naturel, noyé dans la culture virtuelle et condamné à afficher une humeur euphorique, un air cool et des dents d’une blancheur éclatante.

 

Grâce à ce manifeste faisant l’éloge du malheur, nous comprenons que l’être humain n’est pas constitué seulement de neurones. Nous avons aussi une histoire, car avant notre naissance nous existions dans le désir de nos parents. Idem, à notre mort, nous continuerons d’exister à travers les récits et souvenirs que nous laisserons. Vous l’aurez compris, l’être humain a besoin de sens, il recherche dans son existence le sens de la vie !

Cette quête de sens est plus essentielle que celle du bonheur…

 

« Ce qui donne un sens aux choses c’est le rêve et la relation aux autres »

Dirk De WACHTER nous invite à chercher le sens de notre vie dans le rapport à l’autre et nous ouvre à la vulnérabilité. Si Sartre écrivait : « l’enfer c’est les autres », une vie solitaire est vouée à s’éteindre.  Sans relation pour réchauffer votre affectivité, nos activités deviennent autocentrées, stéréotypées, mortelles. C’est le début de l’enfer, que l’auteur décrit dans cet essai imprimé dans l’air du temps.

Au fil des pages, le lecteur comprend combien les contacts charnels sont essentiels : rencontrer les gens, être auprès d’eux pour entendre leurs histoires, prendre son enfant dans ses bras, embrasser sa ou son partenaire. A l’ère des écrans interposés, du télétravail, des examens sur Zoom et consultations médicale sur Skype, toucher pour exprimer ses émotions est devenu plus que jamais vital.

Que l’on soit heureux ou malheureux, les caresses, les câlins, les gestes tendres, s’enlacer, se rencontrer vraiment est une composante du bonheur.

A travers cet essai, l’auteur nous incite à créer des rituels pour favoriser le lien, le tissu social et le vivre ensemble.

Face à l’injustice et à la misère de ce monde, celui que l’on surnomme « le Nick Cave flamand » nous délivre un mot d’ordre : « Indignez-vous ! Engagez-vous ! »

Ce cri du cœur n’a jamais retenti de façon aussi authentique dans la période historique que nous traversons…

 

L’art d’être malheureux

Dirk De WACHTER

144 pages

Edition de La Martinière

14.90 euros

 

 

 

 

 

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