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Une Certaine Désinvolture

Interview : Bertrand de Saint Vincent

Directeur Adjoint du Figaro, dont il dirige aussi les pages Culture, Chroniqueur littéraire et Écrivain, Bertrand de Saint Vincent, vient d’éditer aux éditions du Rocher un recueil de 18 nouvelles intitulé Une certaine désinvolture. Véritable invitation aux voyages et à la dolce vita, ce livre est en lice pour le prestigieux Prix Interallié 2023 ! Rencontre avec une figure incontournable des soirées mondaines parisiennes !

Par Estelle GUEÏ

 

Le Directeur Adjoint du Figaro, Bertrand de Saint Vincent, présente son 3ème recueil de nouvelles, « Une certaine désinvolture » à la journaliste de Kiss City Paris, Estelle Guei

Bonjour Bertrand de Saint Vincent, après « Nocturne Français » et « Tout Paris » publiés chez Grasset, vous venez d’éditer le recueil de nouvelles « Une certaine désinvolture » aux éditions du Rocher. Que représente pour vous, aujourd’hui, l’art de vivre à la française ?

J’aime beaucoup l’art de vivre à la française. C’est une forme de distance, de manière d’être, une sorte de désinvolture. Une façon d’essayer de prendre les choses avec un peu de distance et d’amusement, en ayant le goût de l’esthétique, de la légèreté, ce qui n’empêche pas la profondeur !

 

Interview de l’Auteur et Directeur Adjoint du Figaro, Bertrand de Saint Vincent, pour le média Kiss City Paris

Dans la littérature française, la Parisienne a toujours fasciné à travers les époques. Comment la décririez-vous ?

 La Parisienne possède ce naturel unique au monde. Elle se déplace comme si elle était chez elle. Avec grâce, élégance et une espèce de hauteur. Elle continue encore à fasciner le monde, car elle a en elle une forme de mystère, qui est le mystère de l’esprit français ! 

 

Le mythe de la Parisienne gracieuse, élégante et mystérieuse, unique au monde 

 

Vous admirez les écrivains tels que Antoine BLONDIN ou Michel DÉON. Quels sont les auteurs contemporains qui pour vous incarnent cet esprit français si désinvolte ?

 C’est plus difficile à trouver aujourd’hui, même si on a toujours l’œil rivé sur nos contemporains. J’aime bien Patrick MODIANO, qui incarne le mystère. C’est quelque chose qui me fascine, même chez les être humains. Je suis un opposant farouche de la transparencePour moi la transparence est une valeur de piscinier. On voit le fond de la piscine, mais le vrai mystère c’est la mer. On ne sait pas ce qu’il y a derrière ! Chez Patrick MODIANO il y a cette quête mystérieuse du passé de l’individu : que sont-ils devenus ? Où vont-ils ? J’aime aussi beaucoup l’écrivain et Académicien, Jean-Marie ROUART. Notamment Michel DÉON, BLONDIN et Richard MILLET. Emmanuel CARRERE a aussi une belle écriture, même si elle n’a pas forcément cet esprit français.

 

 

Bertrand de SAINT VINCENT est aussi passionné par les romans de Jean-Marie ROUART, membre de l’Académie Française

C’est le côté clair/obscur qui vous fascine, cette quête au niveau de la psychologie des personnages ? 

C’est tout à fait cela ! J’aime comprendre l’ascension des gens. Peu importe la personne. Ce qui est amusant, c’est de déceler ce qui a fait qu’aujourd’hui, l’individu est devenu ce qu’il est. Et comme je pense que chacun d’entre nous joue la comédie, ce qui me fascine est de trouver dans quelle proportion une personne est restée ce qu’elle voulait être. La variation est entre 10 et 90 %. Il y a donc des gens dont la réussite va être éblouissante, mais en fait au fond d’eux ils sont tristes, car travestis. Comme si c’était quelqu’un d’autre qui avait réussi. D’où une forme de tristesse.

Ce serait une forme de jeux de postures en quelque sorte ?  

En effet. Il m’est arrivé de dîner avec un banquier ou des financiers qui avaient une fortune assez impressionnante, et qui en fait à la fin du dîner finissaient par m’avouer que ce n’était pas ce qu’ils auraient voulu être. Je trouve cela assez fascinant, à la fois assez triste et amusant car ils ont l’air de tout avoir, mais en réalité c’est quelqu’un d’autre qui a réussi !

D’ailleurs c’est pour cela que de nombreux hommes d’affaires auraient voulu être des artistes ?

Voilà ! « J’aurais voulu être un artiste », comme le chante je ne sais plus qui. Ces personnes n’ont pas pris de risques à un moment donné. C’est assez fascinant. Ce que j’ai remarqué aussi, c’est que les gens ont perdu le goût du sourire. D’autant plus que le sourire est une forme de distance qu’on a sur soi-même et sur les autres. C’est une forme d’humour qui permet de relativiser et de ne pas trop se prendre au sérieux. Ce qui est un défaut majeur de l’époque !

 

L’homme d’affaires, Bernard Tapie, se rêvait aussi artiste comme dans la comédie musicale Starmania

Vous fustigez notamment dans votre livre le côté très critique de la France et privilégiez le côté cabotin teinté de désinvolture.

L’expression « Une certaine désinvolture » signifie que celle-ci n’est pas complète. Je vais vous donner un exemple de personnage désinvolte que j’ai rencontré il y a peu de jours :  Jacques DUTRONC. C’est en quelque sorte le prince de la désinvolture, car il incarne une forme de liberté par rapport à soi et aux autres. La liberté de plaire ou de déplaire reflète une forme de dandysme. Cependant, je fustige aussi cet état d’esprit selon lequel il faut être lourd pour être pris au sérieux. Cela me fait penser à l’expression où on reproche à une personne « une légèreté coupable »Au contraire, je pense que la légèreté n’est jamais coupable ! 

 

Le dernier dandy, Jacques Dutronc

 

Où puisez-vous ce talent de plume poétique, qui sait se faire pinceau, pour brosser des portraits d’hommes et de femmes, aux destins souvent brisés ? 

Je ne sais pas où je puise tout cela, mais j’ai beaucoup lu Stendhal (rires). Il faut écrire de façon naturelle. Trouver sa petite musique intérieure. Par exemple, quand j’écris, je parle. Les phrases doivent avoir une musiqueJe suis très sensible à la musicalité des phrases. J’aime aussi la vitesse. Aller vite dans le rythme des phrases. En quelques phrases, déceler le caractère des gens, ce qu’ils montrent et ce qu’ils montrent moins. Pour cela il faut avoir une curiosité, les regarder et les écouter.  C’est une forme de tendresse aussiJe ressens de la bienveillance vis-à-vis des êtres humains parce que je sais que tout est compliqué. La vie n’est pas une chose simple.

A vous écouter, on pense à la fois à l’auteure, Françoise SAGAN, qui était férue de vitesse et aussi à la musicalité propre à FLAUBERT. Il avait l’habitude de lire ses ouvrages à haute voix dans son « gueuloir ». Quel est votre rituel pour écrire ? Est-ce que comme Jean d’Ormesson vous utilisez par exemple le crayon de bois pour écrire un roman, ou le stylo, quand vous rédigez un article ? 

Pour le côté Sagan je confirme ! On retrouve notamment chez SAGAN cette petite musique. Personnellement j’écris sur un ordinateur. Mais il faut que je sois tranquille. J’accorde beaucoup d’importance à la lumière, il faut que je sois dans une pièce lumineuse, ensuite je parle. Il vaut mieux que je sois seul dans le processus d’écriture, car chaque phrase que j’écris je la répète à haute voix, pour l’entendre. Et si la musique ne me plait pas, je change quelques mots pour essayer d’ajuster. Un peu comme un musicien sur sa partition ! 

 

« Une certaine désinvolture » est en lice pour la prochaine sélection du Prix Interallié. Le livre est édité aux éditions du Rocher

 

Une sorte de compositeur ? 

Voilà ! Je pense qu’un écrivain est un compositeur ! J’essaie de composer des phrases qui sonnent juste, et en même temps qu’elles ne soient pas gratuites. Qu’elles disent quelque chose et que chaque mot soit bien placé. Chaque mot doit avoir une raison d’être là. Je coupe. J’épure beaucoup pour ne pas avoir de phrases ou de mots inutiles. 

Lors d’une interview vous avez dit : « Vivre n’est pas aussi évident que cela ! » Quel est votre secret pour chasser la mélancolie ?

Pour chasser la mélancolie je n’ai pas de secret ! La mélancolie c’est quelque chose que j’aime bien, qui m’accompagne. Chez moi elle naît, lorsque je vis un moment aussi bien heureux que malheureux, car c’est déjà fini. Le moment m’échappe. Cependant, cette mélancolie n’empêche pas l’amusement, ni d’apprécier la beauté. D’ailleurs, c’est la beauté qui sauvera le monde ! La mélancolie permet de retrouver une forme de paix et de bonheur. Je m’inspire beaucoup de la beauté. Elle me console.

 

Entre mélancolie et tristesse, la frontière est tenue…Qu’en penserait Françoise Sagan ?

 

Et c’est la beauté qui sauvera le monde…Qu’est-ce qui vous enchante ? 

Ce qui m’enchante c’est la grâce. Cela peut être la grâce d’une silhouette, d’une conversation, d’une image, la légèreté, la tendresse. Tous ces sentiments qu’on effleure.

 

Et au contraire ce qui vous désenchante ?

Ce qui m’effraie c’est la bêtise. La certitude. Les personnes imbues d’elles-mêmes. La lourdeur. Tout cela me fait fuir ! Je préfère les fuir plutôt que de les côtoyer. Ce n’est peut-être pas glorieux, mais ça évite de s’assombrir inutilement.  Je fuis la vulgarité, la lourdeur, le bruit, la foule. Toutes ces choses dont il faut s’extraire pour réussir à conserver une forme de pureté et de simplicité aussi. Écrire requiert de la simplicité. Que ce soit lumineux, limpide et léger !

 

Lumineux. Limpide et léger ! Quelles sont vos héroïnes d’aujourd’hui ?

L’une de mes héroïnes d’aujourd’hui est Françoise HARDY dont je parle dans le recueil de nouvelles. Elle a été l’une des plus belles femmes du monde, tous les grands chanteurs, Mick JAGGER, Paul Mc CARTNEY en étaient fous. Et finalement elle a épousé DUTRONC. Elle avait la grâce, elle était belle, une forme de timidité, et elle chantait « tous les garçons et toutes les filles de mon âge savent ce qu’aimer veut dire ». Elle chantait avec sincérité, avec une forme de tristesse, alors qu’elle avait tout et qu’elle ne le savait pas. Elle se cherchait en marchant sur un fil. J’aime bien les gens qui sont sur un fil, qui n’ont pas de certitudes. 

 

La chanteuse Françoise Hardy est l’une des heroines du recueil de nouvelles de Bertrand de Saint Vincent. Mick Jagger en était également fou d’amour 

 

Comme un funambule ?

On est tous un peu des funambules, on est sur un fil. On prend le risque d’avancer sans filet, en oubliant qu’on est sur un fil ! 

Est-ce pour cela qu’on ressent à travers la lecture d’Une certaine désinvolture, ce sentiment d’urgence à vivre ? 

Absolument, il y a une urgence à vivrePour vivre il faut être bien entouréFaire attention aux gens qu’on fréquente, c’est très important car ce sont eux qui vous donnent l’énergie, qui est à la base de tout. 

Quels conseils pourriez-vous donner pour mieux s’entourer ?

Il faut faire comme quand j’écris : épurer ! C’est-à-dire qu’il vaut mieux être seul que mal accompagné. Bien choisir les gens avec qui on s’entoure afin de ne pas s’assombrir inutilement. Notamment il y a quelque chose que j’ai constaté, c’est la jalousie. Elle est très présente en France. Beaucoup de gens sont jaloux alors qu’il faut apprendre à trouver sa place. Lorsqu’on a trouvé sa place, la jalousie disparaît, car la réussite de l’autre ne vous gêne pas, elle est juste différente de la vôtre. 

Vous voulez dire que lorsqu’on a trouvé sa place, la réussite de l’autre nous nourrit, nous challenge et nous inspire ? 

Tout à fait. Ayez de l’admiration pour des écrivains. Par exemple, j’admire Alain DELON, que j’ai rencontré plusieurs fois. C’est quelqu’un d’extraordinaire. C’est la star qui a incarné le rayonnement français jusqu’au bout du monde. J’ai eu la chance de le rencontrer. Je ne suis pas jaloux d’Alain DELON. Effectivement, il est beau, il est magnifique même. Chacun doit trouver son terrain de jeu. Une fois que chacun a trouvé sa place, la jalousie s’efface et tout devient simple. On se nourrit alors de la réussite de l’autreOn devient plus fort et on s’entoure mieux ! Je conseillerai donc de trouver sa place et de se nourrir de l’admiration qu’on pourrait avoir pour un certain nombre de personnes. Il n’y en a pas beaucoup, mais il suffit de quelques-unes ! 

 

L’acteur Alain Delon dans le film Le Guépard a fait vibrer toute une génération, à qui Bertrand de Saint Vincent rend hommage

 

Ce printemps vous serez au Festival de Cannes pour les chroniques mondaines et cinéma du Figaro. Où pourrons-nous vous croiser sur La Croisette ?

Tous les ans je me rends au Festival de Cannes avec une équipe du Figaro, on y loue un appartement. Vous me croiserez au Palais des Congrès, où je verrai 2, 3 ou 4 films par jour. Je prendrai un verre au Martinez ou au Carlton. Ensuite je dînerai dans un restaurant italien, dans le quartier du Suquet, où nous avons nos habitudes, avant de déambuler sous le soleil, sur La Croisette, en parlant des bons films qu’on aura vu !

 

Quels films aimez-vous ? 

J’aime beaucoup le cinéma italien, avec ce mélange de dolce vita, de désinvolture. Alain Delon et le film Le Guépard entre autres l’incarnent bien. Le cinéma français de Claude SAUTET est également inspirant.

Revenons du côté de cette musicalité qui est très présente au gré des pages, tout comme la peinture. Avec quel accord vin et musique faut-il déguster votre recueil Une certaine désinvolture ?

 Alors, peut-être en écoutant une musique de Chopin ? J’adore lire en écoutant du piano, avec un bon verre de Corton-Charlemagne. Vous aurez ainsi toutes les chances d’apprécier la lecture d’ Une certaine désinvolture !

 

Une ambiance cocooning pour savourer la lecture du recueil de nouvelles « Une certaine désinvolture »

 

Un message pour les KissCiteurs ?

Cultivez votre énergie. Car le talent est une chose, mais la flamme qui va allumer votre talent, c’est l’énergie. Donc cultivez-la, économisez-là et mettez-là dans ce que vous êtes, et non ce que vous n’êtes pas ! C’est le meilleur conseil que je puisse vous donner !

 

La jolie illustration du recueil de nouvelles « Une certaine désinvolture » a été réalisée par la talentueuse illustratrice Nathalie INFANTE

 

Une Certaine Désinvolture

de Bertrand de Saint Vincent

aux Editions du Rocher

192 pages

17 euros

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