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Livre : La seule façon d’aimer

Autopsie d’un amour impossible

Place à un roman d’une grande intensité et sensibilité, écrit par un auteur à la plume habitée ! Didier Barbelivien nous raconte une histoire d’amour hors norme, entre une ado et son prof de français. Jeanne et Frédéric se sont rencontrés dans un lycée Versaillais. Elle a 16 ans, il en a 40. 14 Ans après son arrestation, se retrouveront-ils ? Comment un professeur peut-il plonger dans l’illégalité ? Quel est le sens de cet amour interdit ? Que signifie la différence d’âge lorsqu’on s’aime de cœur à cœur, d’âme à âme ?

Par Estelle GUEÏ

Mardi 24 Juin 2025 

 

 

 

Des personnages plus vrais que nature 

Connu pour ses tubes chantés par les stars, comme On va s’aimerLes sunlights des tropiques (Gilbert Montagné)Elle (Garou), La Rivière de mon enfance (Sardou) ou encore À toutes les filles, Didier Barbelivien, est aussi un grand écrivain !

L’homme aux 2.500 chansons a composé ce roman, La seule façon d’aimer, comme une chanson, au refrain entêtant. Aucun lecteur ou lectrice, ne peut rester insensible face à cette histoire d’amour émouvante, à la Roméo et Juliette des temps modernes, entre une lycéenne de 16 ans et un professeur de 39 ans. Sans tomber dans l’écueil du jugement ou du voyeurisme, Barbelivien utilise la technique des narrations croisées, pour disséquer avec sensibilité, à travers les regards des différents personnages (les parents dépassés, l’ado obsessive, le prof désemparé, la meilleure amie complice, la fiancée du prof éconduite…) cette relation à contre-courant de l’ordre établi.

 

Didier Barbelivien nous plonge dans les profondeurs des sentiments humains

 

Loin des clichés sur les couples transgressifs, la crise de l’adolescence ou le mythe du Pygmalion, Barbelivien nous piège dans son écriture limpide, fraîche aux détails infimes qui transforment n’importe quel chapitre en une formidable scène de cinéma.

Les personnages semblent incroyablement réels, habités de leur propre libre-arbitre, vivants hors du contrôle de leur créateur, que cela en est troublant pour le lecteur. Sous sa plume, la consistance des personnages prend forme, d’une façon presque matérielle. Voire charnelle pour certains. 

On a envie de rencontrer cette héroïne, Jeanne, « à la démarche féline »« une ravissante folle », libre et un brin « autiste », incroyablement « solaire », dans ses jeans, baskets et sac à dos d’ado paumée, à l’allure « d’oiseau tombé du nid ». L’héroïne est brillante intellectuellement, « aussi lisse que cinglée » comme la décrira Frédéric à son meilleur ami. On a aussi envie de discuter poésie avec Frédéric, le professeur de français romantique, quadra, en proie aux questionnements du temps qui passe, et de son roman qui n’avance pas.

 

La seule façon d’aimer, de Didier Barbelivien, un roman bouleversant

 

On a envie de poser des questions à Mamina, la meilleure amie de Jeanne, qui deviendra plus tard son agent artistique.

On a aussi envie de rencontrer cette tata azuréenne, Éléonore, qui se démène comme une lionne pour sa nièce…Et de secouer ce père absent, mais aimant, François, qui noie sa lâcheté et son mariage de façade au confort bourgeois, dans les bras de sa jeune assistante martiniquaise, Mylène, qu’il voit comme « un sas de tendresse ou de décompression ».

Et que dire de cette mère-copine, frisant l’anorexie, Héloïse, dépassée par la situation, devenant méchante avec sa fille ?

Bref, BARBELIVIEN s’est follement amusé à ériger un petit théâtre humain aux décors et aux personnages attachants, incroyablement vivants, comme dans une série Netflix.

On imaginerait presque les personnages interprétés par des acteurs américains : Lily Depp-Rose (Jeanne), Zendaya (Mamina), Nicole Kidman (Héloïse), Bradley Cooper (François), Margot Robbie (Éléonore) ou encore Ian Somerhalder dans le rôle du professeur de français « foutraquement romantique » …

 

Un film inspiré d’un fait divers, entre une professeure et son élève, a été tourné avec Bruno Pradal et Annie Girardot, dans « Mourir d’aimer »

 

 

 

Un road-movie haletant

Au début du roman, nous sommes en 2015, à l’aéroport Charles de Gaulle, à Paris. Une jeune femme de 29 ans affublée de lunettes de soleil et d’une tenue de camouflage rejoint son vol pour les USA. Personne ne devine que derrière les lunettes de la jeune femme se cache une actrice de cinéma et ancien mannequin connu. Jennifer Jones, alias Jeanne Danicourt.

Elle s’apprête à rencontrer le réalisateur du Loup de Wall Street, Martin Scorsese, pour jouer dans son prochain film «Alexandra». Un thriller passionnel écrit par un romancier inconnu.

Alors qu’elle s’envole pour les USA, le lecteur est entraîné 15 ans en arrière, en 2001, dans un lycée huppé de Versailles. Jeanne a 15 ans, elle prépare son bac avec sa meilleure amie, Mamina. Fille d’un ponte de la chirurgie cardiaque et d’une mère aristo, Jeanne a tout pour réussir à l’abri des soucis. C’est sans compter sur le destin qui joue parfois des tours, dignes d’un roman ou d’un film policier. Voire d’une tragédie grecque !

 

Le lecteur suit la descente aux enfers de ce professeur, semblable à « un junkie », dont Jeanne est devenue «son héroïne »

 

Déjà grande pour son âge, éveillée et mystérieuse, Jeanne Danicourt, se pique d’amour pour son professeur de français, Frédéric, tout juste quadra, en couple avec la prof de sport du lycée où il enseigne. Tout d’abord indifférent aux efforts de l’adolescente pour attirer son attention, c’est par le biais de la poésie, de son intelligence rare et de la finesse de ses analyses littéraires, que progressivement le professeur baissera la garde, pour se laisser happer dans un tourbillon de mensonges, de stratagèmes pour  voir son élève en cachette. Ils vivent leur idylle dans la clandestinité la plus complète, jusqu’à ce que le délit de la relation, entre une mineure et un adulte ayant autorité sur son élève, soit découvert.

En utilisant à la fois les méthodes du flash-back, des regards croisés, et de la narration omnisciente, l’auteur en profite pour sonder les cœurs et les esprits des différents protagonistes.

Le rythme de la narration est soutenu, parfois émaillé d’extraits des journaux intimes des deux héros, de leurs confidencespoèmes et même dissertations ! Comme dans une enquête policière, les différents personnages semblent être interrogés pour refaire le film de ce qu’on imagine être un drame…mais lequel ?

 Le lecteur suit la descente aux enfers de ce professeur, semblable à « un junkie », dont Jeanne est devenue «son héroïne ». Avec émotion, Barbelivien dépeint « une passion qui n’a aucun sens », guidée seulement par le sentiment d’urgence, le goût de l’interdit et de la jeunesse retrouvée. Frédéric est clairement en proie à la morale, conscient de son infidélité et du temps qui passe :

« Il a fallu que je retrouve mes 17 ans sur les lèvres d’une jeune fille pour m’en souvenir, il a fallu des baisers affolants, une promenade dans un parc enneigé, des promesses insensées que je lui ai faites, emporté par mon inconscience. Suis-je en train de perdre la boule ? »

 « Jeanne est mon rêve impossible, elle est ce qui a emporté ma raison. Je suis fou d’amour pour elle, fou de ses regards, de ses baisers, de ses caresses.

Est-ce que j’ai menti pour la retrouver ? Oui.

Est-ce que j’ai transgressé la morale? Oui.

Les conventions sociales ? Oui.

Est-ce que j’en éprouve de la culpabilité ? Pas le moins du monde. »

 

Barbelivien explore aussi le thème du triangle amoureux

 

Au fil des pages, la bande son du livre résonne dans nos oreilles, comme dans un film américain : les Variations Goldberg par Glenn Gould de Jean Sébastien Bach, You’re beautiful de James Blunt, Coldplay, Twenty five de George Michael, On an Island de David Gilmour, Pink Floyd…Barbelivien nous régale généreusement de ses références musicales.

On voyage entre le Paris du 17ème, son parc Monceau et la rue de Prony, à La Croisette de Cannes, en passant par la Promenade des Anglais, Londres ou encore les studios d’Hollywood.

Un roman dont les repères spatio-temporels semblent comme suspendus, s’étirant sur 15 ans. 

 

 

 

La confusion des sentiments

Le suspense est savamment maintenu grâce à une narration rythmée, où l’histoire est racontée à travers les différents regards des protagonistes, apparaissant comme dans le champ d’une caméra. Ainsi par le prisme de cette histoire d’amour peu ordinaire, le lecteur est entraîné, dans les méandres du cœur et de la pensée humaine.

Barbelivien, très bien documenté, plonge son lecteur dans les univers du cinéma, du mannequinat, de l’édition, de l’enseignement, de la musique bien évidemment et même dans celui du trading ou de la santé ! On sent que Didier a bien bûché ses sujets pour rendre les situations cohérentes et tangibles. 

Ce roman se lit tellement vite, avec l’avidité de la passion inassouvie (parfois avec effroi ou avec émoi), que pour faire durer le plaisir, on relit des paragraphes admirablement écrits. On le quitte, pour ensuite mieux y revenirCe livre est une obsession. A l’image du drame qui se noue entre ces 2 héros maudits. Jouets aux mains du Destin. Une romance interdite.

 

Le thème de l’amour transgressif sublimé au cinéma : ici Rimbaud et Verlaine, dans Total Eclipse, interprétés par DiCaprio et David Thewlis

 

Barbelivien signe un roman au sujet difficile, peuplé de références élégantesinspirantesmêlant toutes les époques. De Rimbaud à Verlaine, en passant par Autant en emporte le vent, l’auteur aux 2.500 chansons et aux tubes impérissables est une sacrée révélation littéraire qui émerveillera toutes les générationsCar l’amour véritable, grandit et se gagne avec le temps.

Les affres de la vie, ses incertitudes, les mystères de l’amour et la psychologie humaine, sont incroyablement disséqués au scalpel, par un Didier Barbelivien habité par ses personnages. D’ailleurs, à mi-roman, les larmes ne manqueront pas de poindre à vos yeux !

Cette histoire on ne la juge pas. On la vit à travers le regard des parents, des amis, de la famille :

Merci à Didier Barbelivien de nous offrir la chance de tenir entre nos mains un objet, tel un ovni, qui nous interpelle, nous bouscule. D’ailleurs, l’auteur nous avertit en préambule : « L’écriture d’un roman n’est rien s’il ne croise, sur son chemin, des yeux et des cœurs pour s’y reconnaître, un peu, beaucoup, passionnément »

Ce roman d’une grande intensité et sensibilité rare, est à offrir pour comprendre la signification du verbe aimer.

Cependant, une question essentielle subsiste : et finalement, existerait-il une seule façon d’aimer ?

 

Comment s’exprime l’amour ?

 

 

 

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