Beigbeder se confesse
Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé
Entre cancel culture, écoféminisme, pornographie et wokisme, Frédéric Beigbeder brosse le portrait d’une société d’hyper-désir, où les hommes n’ont plus droit de manifester leur intérêt pour la gent féminine, au risque de se faire « supprimer » par la vindicte populaire. Quels sont les nouveaux rouages de la discrimination ? Comment les garçons hétéros font-ils la cour, dans un environnement où ils sont jugés comme de potentiels prédateurs ? Un homme déconstruit serait-il un mari ? Confessions d’un hétérosexuel dépassé, sonne le glas d’une nouvelle ère.
Par Estelle GUEÏ
Flash-back
« Nous sommes entrés dans une nouvelle ère », voici comment débute le nouveau roman du plus célèbre dandy publiciste de France, homme de lettres controversé : Frédéric BEIGBEDER. C’est pour répondre à une question posée par sa fille, un beau matin de 2018, alors que sa petite famille se réveille et découvre avec effarement la façade de leur maison graffée et taguée de phrases haineuses…
« Papa pourquoi ils ont fait ça ? C’est qui qui a fait ça ? » demande une enfant 3 ans à son père consterné de découvrir qu’un groupe de vandales se sont introduits pendant la nuit, dans leur propriété de Saint-Jean de Luz, pour marquer à la bombe : « ici vit un violeur »
A travers cette question en apparence anodine, l’auteur se prête à un périlleux exercice de style dont lui seul a le secret. Provoquer la réflexion autour de sujets clivants ou jugés tabous par la société. Car BEIGBEDER, c’est surtout l’homme engagé, aux choix assumés. Ce livre traduit une volonté de faire tomber les masques de dandy intellectuel, polémiste, chroniqueur radio, génial auteur, publicitaire et fêtard cocaïné. Bref, Frédéric s’est échiné à vivre pleinement sa vie et à être lui-même.
Sa personnalité atypique n’a jamais dérogé à sa règle de vie : exprimer dans les médias ou à travers ses livres, sans langue de bois, avec arguments à l’appui, ce qu’il pensait, faisant fi de la doxa.
Tout commença en 2016, par un bashing implacable, après qu’il ait signé une pétition contre la pénalisation des clients des prostituées. Une loi jugée par l’avocat du STRASS (syndicat des travailleurs du sexe) et par l’association Médecins du Monde comme contreproductive. Puisqu’au lieu de protéger les travailleuses du sexe, celle-ci a provoqué un repli de masse vers la prostitution en ligne et intensifié les risques d’agressions physiques. Une tartufferie, doublée d’un fort sentiment de démagogie, qu’il souligne avec brio et incisivité : « Voulez-vous la liste des bordels, bars à escortes, salons de massage sexuel, lieux de pérapéticienne et de sites web de sugar-daddies ouverts à Paris en ce moment ? »
Le sucre de la vie
Dès les premières pages, BEIGBEDER plante allègrement le décor ou plutôt ses états d’âmes, à l’aube de la soixantaine. « Rangé des voitures » Frédéric se confie à cœur ouvert sur les difficultés de la vie liées à l’âge et à ses excès nocturnes passés. Celui qui était de toutes les sorties mondaines de la capitale semble s’être assagi. Son temps de vie est mesuré comme il le dévoile pudiquement dans son ouvrage. Un diabète de type 1 préexistant s’est déclaré, soudainement, après avoir assisté à une attaque à l’arme à feu, au Ritz. Un pessimisme auquel l’auteur du truculent « 99 Francs » ne nous avait pas habitué. Le déclenchement de cette maladie si contraignante au quotidien, entraînant une cohorte d’interdits gustatifs, lui ont supprimé un péché. Celui de la gourmandise ! D’ailleurs, à travers ces quelques lignes consacrées aux plaisirs sucrés proscrits, BEIGBEDER évoque presque la Madeleine de Proust.
« Le diabétique doit s’interdire les joies du chocolat, le plaisir des Haribo, la volupté du caramel, l’addiction aux réglisse, l’orgasme des éclairs et des opéras, le croissant du matin trempé dans le café les cocktails au Baileys » Une déclaration d’amour aux sucreries qui s’interroge également sur les joies existentielles terrestre : « Quelqu’un peut-il me dire quel est le sens de la vie sans Sundays au chocolat ? »
A lire sa « renonciation au sucre » on devine aisément comment cet homme victime de bashing a vécu sa vie sentimentale et professionnelle : intensément !
Par cette mise en appétit métaphorique, BEIGBEDER nous interpelle sur l’essentiel :
– Ne pas être vieux et moraliste avant l’heure
– Rien ne sert d’ériger des barrières générationnelles (Boomers versus GenZ/Millennials)
– Défendre la liberté d’expression
– Prôner un retour aux sources aux vraies valeurs humaines face à l’hyperconsommation et à la frénésie des réseaux sociaux
– Rappeler que les femmes ne sont pas les seules victimes d’agressions sexuelles, les hommes aussi
– Subir des malheurs n’est pas réservé qu’aux personnes issues de l’immigration ou aux locataires des HLM
Liberté d’expression et cancel culture
Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé dresse le portrait émouvant, sensible d’un homme qui après avoir vécu 5 décennies post-soixante-huitardes s’interroge sur notre société, où la littérature s’aseptise sous la pression des moralisateurs.
Écrire des livres serait-il réservé aux saints ou aux adeptes de la littérature positive comme le prônait le régime communiste de l’ex-URSS ?
Celui dont le métier est de « lire et d’écrire des livres » nous alerte sur cette peur moralisatrice qui tétanise même le milieu de l’art : « Il faut donc que l’art puisse tout dépeindre, les miracles comme les monstruosités, la sainteté comme les péchés »
Un cri du cœur qui fait étrangement écho au dernier roman du philosophe Michel ONFRAY, Anima : « Nos vies sont un alliage de grandeur et de décadence. Si les livres ne peuvent plus raconter les crimes et les délits, comment allons-nous sonder l’âme de l’homme ? »
Que les masques tombent !
Pas de faux semblants chez BEIGBEDER. Même si à l’instar du chanteur Serge GAINSBOURG, on devine qu’au-delà des postures, Frédéric s’est forgé un personnage. Comme lui, il avouait : « porter un masque que je n’arrive plus à me défaire ! »
Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé se lit au second degré même si certains chapitres sentent le règlement de compte. Notamment lorsque dès l’entame du livre BEIGBEDER envoie des punchlines à son assureur Generali, qui a refusé de prendre en charge le remboursement de sa façade, après le vandalisme au graffiti. Idem lorsqu’il dénonce les méthodes du journal Libé, qui publie « des conversations privées anciennes et racontées par une seule personne ». Face à la vindicte populaire l’écrivain rappelle sa lutte aux côtés de Tristane BANON, violée dans la garçonnière de Dominique Strauss-Kahn en 2003.
Identique à cette coulée de haine graffiti, Frédéric BEIGBEDER, dépeint une détestation générale, matérialisée jusque dans les fanges de notre société.
Consterné, l’auteur s’interroge sur cette proportion à se victimiser à outrance : « Quel est le contraire de la victimisation ? Je me victorise ? Je me glorifie ? Je voudrais raconter ici la défaite des vainqueurs. »
Dans cette démarche introspective, ponctuée par de courts séjours épiques dans des monastères, camps militaires ou soirées Cannoises, BEIGBEDER, pose un verdict sans appel sur son statut d’homme privilégié : « Parce que je suis blanc, de sexe masculin, né bourgeois dans les années 1960, j’ai grandi dans le camp des dominants »
Il rappelle alors que les hommes aussi sont victimes de violences. Certains sont même battus par leurs conjointes, épouses ou parents. L’auteur pioche alors dans ses souvenirs d’enfance et d’adolescence pour appeler les écoféministes et les wokes à plus de résilience. Né à une époque où les pédophiles, comme l’écrivain Gabriel MATZNEFF, déclamait lamentablement sur les plateaux TV et dans ses livres, son attirance pour les garçons de 13 ans, BEIGBEDER se fait le porte-voix de ces garçons qui subissent aussi des violences sans « venir de Trappes ou de Saint-Denis ».
Sans minimiser la souffrance des femmes, l’auteur d’Un Roman Français nous rappelle qu’il n’existe pas de profil type de victime. Enfant il a été lui-même battu par un prêtre à Saint-Germain-des-Prés, le père Fèvre, de l’école Bossuet à l’âge de 7 ans. A 10 ans, il fut la cible d’un exhibitionniste, au Bois de Boulogne, avant d’être « dragué » rue de La Planche par un pédophile dans le 7ème…Ses confessions veulent casser la vision binaire des bourreaux et des victimes, l’émasculation de l’homme cis-genre (né de sexe masculin et l’étant resté), alerter sur cette apartheid insidieuse anti-mâles hétéros (même L’écrivaine J.K. Rowling en a fait les frais pour des propos jugés insultants pour les personnes transgenres).
Bref, Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé peut aussi s’écrire au féminin !