Napoléon Dernier
« Napoléon Dernier », à la sauce américaine
Vilipendé par la presse nationale, le biopic de l’Empereur Napoléon par Ridley Scott a le mérite de valoriser un homme qui 202 ans après son décès en exil à Sainte-Hélène en 1821, continue encore d’exercer sur le public international, de tous âges, une fascination historique jamais démentie ! Notre rédaction vous partage sa critique.
Par Estelle GUEÏ
Psychologie d’un héros laminé
Le réalisateur des blockbusters Alien, Robin des Bois, Hannibal, Blade Runner,Thelma et Louise ou Gladiator, semble avoir une image tronquée de Napoléon Bonaparte qui, sous sa caméra, apparaît surtout comme un homme de guerre aux allures rustres plutôt qu’un fin stratège politique. En effet, au-delà des batailles et millions de morts entre 1792 et 1815, Napoléon Ier c’est aussi et surtout l’homme qui a contribué à faire de la France une République démocratique forte, respectée et souveraine.
Aujourd’hui encore, nous vivons sur l’héritage de Napoléon Ier, constitué en 15 ans de règne, alors qu’il n’avait même pas encore 30 ans quand il arrive au pouvoir, en 1799.
Des réformes et un progrès social qui se respectent et qui mériteraient leur place dans le ce biopic mièvre et à charge :
- La création de la Banque de France (1800)
- Le 1er conseil de Prud’hommes (1806)
- La bourse de Paris (1807)
- Le Code Pénal (1810)
- La création des 22 Chambres de commerce (1822)
- La Légion d’honneur (1802)
- Le Baccalauréat (1808)
- Les lycées et l’Université (1802)
- L’Arc de Triomphe (1806)
- Les préfets (1800)
Certes, les scènes de guerres et batailles sont saisissantes de réalisme, notamment celle d’Austerlitz, où le génie de Napoléon se déploie en attirant ses ennemis sur un champ de bataille reposant sur une vaste plaque de glace, sous laquelle une mer gelée est prête à engloutir les soldats et chevaux terrassés par les coups de canons lancés plus loin dans les hauteurs. L’art de la guerre, les trahisons, les complots et les jeux d’alliances y sont décrits sans pitié !
Le film Napoléon correspond à une culture médiatique contemporaine américaine bien éloignée de notre culture aristo ou bourgeoise française de l’époque.
Le film dépeint une période chaotique de l’histoire de France, prise en étau entre la fin des privilèges de la noblesse héréditaire (1790) et l’ère de la Terreur (1793-1794), où un Tribunal révolutionnaire coupait des têtes pour un « oui » ou pour un « non ».
Le regard américain porté sur notre vieux continent et les termes « citoyen » ou « patrie » résonnent bizarrement à l’écran…
Napoléon n’est pas un Gladiator, mais un être humain très complexe au destin hors du commun
Il est difficile de brosser le portrait d’un homme aussi fascinant, fondateur et inspirant en 2h40. Le risque est de tomber dans la caricature ou dans le mépris social avant l’heure, comme cette phrase assassine où un personnage critique Napoléon dans son dos : « Quel homme intelligent, mais qui manque cruellement de bonnes manières et de savoir-vivre ! »
Cependant, il est intéressant d’observer comment la détermination d’un jeune capitaine Corse le mène aux sommets du pouvoir, vaillamment.
L’acteur Joachin PHOENIX campe un Napoléon qui ressemble plus à un Joker ayant pris 20kg et qui a 20 ans de plus, qu’à un homme de 24 ans à l’ascension politique et militaire fulgurante !
Des clichés sur l’art de vivre à la française qui frisent le ridicule
On est assez choqué par le portrait d’un Napoléon qui, dans l’intimité, paraît être un âne dominé par une Joséphine de Beauharnais, le trompant allégrement et l’humiliant à tout va. Certaines scènes particulièrement crues mettent mal à l’aise le spectateur. Dès les premières minutes du film, on se demande si on va encore tenir les deux heures restantes…
Le réalisateur tombe malheureusement dans le cliché so frenchy de la Française catin adepte de la levrette et du français aimant ripailler en arrosant son souper d’un vin de Bourgogne. On pense notamment à ces réparties napoléoniennes consternantes sur les plaisirs de la chair : « J’aime la bonne chair Joséphine ! » ou encore dans sa tente militaire dressée en plein champ de bataille : « Hum ! C’est un Bourgogne ! » Quelle culture…
Vous l’aurez compris, le film sonne creux, à l’image d’un Joachin Phoenix qui paraît éteint et loin d’incarner la flamme d’un Napoléon de 24 ans quand il remporta le siège de Toulon en 1793. L’erreur de casting ne s’arrête pas là puisqu’on peine même à reconnaître Tahar RAHIM en Paul Barras ou Ludivine SAGNIER en madame Tallien… Et que dire de cet épouvantable jeu d’acteur lorsque PHOENIX, tel un petit garçon, se bouche les oreilles ou baisse la tête lorsque Joséphine lui assène un lapidaire « Sans moi tu n’es rien ! »
Ridley SCOTT serait-il woke et pro-féministe ?
En termes de psychologie des personnages nous sommes dans le vide abyssal le plus total. Nul personnage n’est attachant. Les costumes, forts bien reproduits au demeurant, semblent glisser sur leurs corps d’écran.
Malgré les tendres échanges épistolaires entre Joséphine et Napoléon lorsqu’il était en exil, le film manque cruellement de poésie, tout comme de profondeur et d’intelligence. On sort de la projection sonné(e) et désabusé(e) par ce massacre cinématographique.
Aspect positif ceci dit : les choix musicaux issus du folklore typiquement français et Corse !